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Mémoire sur
THE ROYAL SOVEREIGN
Le Souverain, Royal Souverain, Souverain Royal ou Souverain des mers,
construit par Peter Pett sous la direction de son père Phinéas Pett a été lancé à Woolwich en 1637.

par Arthur MOLLE

E

 

Depuis le début du XVIème siècle, l’arrière plat était habituel aux grands navires de guerre d’Europe. Pourtant la poupe du «Sovereign of the Seas » était ronde et ne devenait plate qu’à 10 pieds au-dessus de la flottaison. Cet arrière fut caractéristique aux navires de guerre anglais et représente pratiquement la fin d’un siècle et demi d’expérimentation et d’évolution, période où s’effectue la transition du navire typique du Moyen Age avec son accastillage énorme, à un vaisseau qui sauf en matière de détails, est du type classique qui continuera à être en usage jusqu’à la fin de la marine à voiles. En ce qui concerne le gréement, il détermine la fin de la période à quatre mâts, car depuis le début du 16ème siècle, tous les grands vaisseaux de guerre avaient été dotés d’un artimon de gaillard. Un intéressant changement dans la méthode habituelle de gouverner à l’aide de martinets fut introduit dans ce grand vaisseau, des palans étant employés pour cet usage.

Si le modèle du «Sovereign of the Seas » ressemblait au bateau grandeur nature, il dût avoir été le modèle le plus beau qu’on ait jamais fait (Le modèle fait en 1827, en addition aux séries de modèles récemment établies par sir Robert Seppings, surintendant de la marine, est assez splendide, mais les décorations de la poupe n’ont aucune ressemblance avec celles du bateau de 1637 décrites dans une brochure contemporaine). Le grand artiste sir Anthony Van Dyck fut chargé de dessiner les décorations et les embellissements de ce prototype, qui furent exécutés principalement par le maître sculpteur du roi Gérard Chrismas, avec ses fils et ses élèves. Les dorures resplendissaient tellement que le bateau fut surnommé le diable d’or par les Hollandais qui participèrent aux combats contre lui. La figure de proue représentait le roi saxon Edgar à cheval écrasant sept de ses adversaires tombés (nous pouvons voir ici un autre symptôme du besoin de Charles 1er de se rassurer). Les pavois de la poulaine étaient décorés de lévriers d’Henry VII, du dragon de Cadwallader, du lion et de la licorne, des roses d’Angleterre, des chardons d’Ecosse, de la fleur de lys de France, de la harpe d’Irlande, ainsi que des blasons de leurs deux majestés et de divers animaux Héraldiques. L’étrave était couronnée d’un cupidon monté sur un lion et deux satyres grimaçaient sous les bossoirs, la façade du coltis était décorée de six belles déesses symbolisant le soin, le conseil, l’industrie, la force, la bravoure et la victoire. Les côtés étaient décorés de trois frises. Celle du bas, la plus simple ne comportait que des volutes. Celle du centre interrompue par les sabords des canons, avait des casques, des instruments de musique, des armures et toutes sortes d’armes. Celle du haut, qui décorait les côtés des gaillards de la dunette, représentait les signes du zodiaque alternant avec des empereurs Romains. Les galeries, avec leurs coupoles et leurs longues rangées de fenêtres étaient couvertes de scènes et de figures mythologiques, d’armoiries et de monogrammes royaux.

La haute poupe en 1637 était dominée par la déesse de la victoire entourée de Neptune, Jupiter, Jason et Hercule; de chaque côté du gouvernail, on lisait :

Puisse celui qui règne sur la mer, les courants, les vents et les navires protéger ton vaisseau, oh ! Grand Charles.

Si le « Sovereign of the Seas » était supérieur par ses dimensions et son armement à tous les vaisseaux l’ayant précédé, il était aussi supérieur d’une autre façon à tous ceux qui devaient lui succéder. C’était le navire le plus richement décoré du monde. On exagère peut-être quand on prétend que le «Sovereign » finit par faire perdre la tête du roi, il institua le premier impôt maritime destiné à l’édification d’une flotte, cette contribution tirait son origine de la taxe levée par les rois médiévaux sur les villes côtières pour les protéger et financer les navires marchands. Charles Ier l’augmenta et l’étendit à l’ensemble du territoire. Même si les Anglais comprenaient l’importance, pour leur pays, d’avoir une marine puissante, ils n’en trouvaient pas moins la note un peu lourde. Ils profitèrent de ce que l’impôt n’avait pas été voté par le parlement pour se révolter. Ce qui fut l’une des causes qui précipitèrent la chute de Charles 1er. 

Le «Sovereign of the Seas» après un essai de lancement manqué le 25 septembre 1637, fut finalement mis à l’eau le 13 octobre de cette année. Quand, finalement, la puissance du grand roi fut définitivement éclipsée, ordre fut donné par ses vainqueurs que tous les vaisseaux royaux fussent dépouillés de leurs embellissements et peints d’une couleur triste. Mais le peuple de Grande Bretagne avaient finit par aimer l’embellissement exotique du «Sovereign of the Seas » au payement duquel ils avaient renâclé et il refusa de permettre sa  destruction. En 1659-60, le vaisseau fut complètement reconstruit à Chatham, sous la direction de Peter Pett, on réduisit le gréement, on raccourcit le demi pont, et on enleva les caillebotis, ce qui eut pour résultat de relever les sabords d’un pied par rapport au niveau de la mer ce qui améliora grandement ses qualités nautique. C’est à la même date que la monarchie fut restaurée en Angleterre, sous le règne de Charles II, et probablement que l’on adjoignit les armoiries royales à la décoration du château arrière, comme sur tous les vaisseaux royaux. En 1685 il fut reconstruit une deuxième fois, quand la figure de proue du roi Edgar sur le dos d’un cheval piétinant sept rois conquis fut remplacées par le lion couronné. Ce navire d’une puissance formidable eut, curieusement, peu souvent l’occasion de combattre au début de sa carrière. L’on sait que les sabords du premier pont étaient trop près de la ligne de flottaison et que de ce fait, l’utilisation de la première batterie était très risquée. On ne trouve rien d’autre à ce sujet, pas d’autres explications dans les annales de la marine ne sont données. Peut-être aussi était-il trop précieux pour qu’on lui fasse prendre des risques ? Peut-être craignait-on que sa haute taille ne le signalât au milieu d’une ligne de bataille ? Il est possible aussi que l’on ait eu du mal à constituer un équipage complet pour le manoeuvrer. Plus tard, en 1690, des bâtiments presque aussi grands que le «Sovereign » furent construits. Cinquante-cinq ans après sa création, ce vaisseau put donc commencer réellement sa carrière de navire de guerre. Après avoir survécu à plus d’une demi-douzaine de combats et aux nombreux périls jalonnant une période de 60 ans, il «succomba » en 1696 : ce ne fut pas au cours d’une bataille, mais par la négligence des gardiens temporaires, le Sovereign avait été envoyé pour réparation sur la Medway, quand un fanal fut renversé, et le chef-d’œuvre de Pett fut soudainement et complètement consumé. 

Le gouvernement du Commonwealth après le renversement de Charles 1er était mené par un soldat, Olivier Cromwell, et plusieurs de ses compagnons étaient des militaires. Il n’y a pas de doute que ces officiers de terre trouvaient extrêmement confus les dessins qui avaient été préparés, pour être discutés, amendés et finalement approuvés avant qu’une coque de bateau puisse être construite. Presque certainement ils ont dû voir les beaux modèles que Phinéas Pett avaient faits de ses bateaux et ils ont pensé combien plus facile ce serait pour un novice avec peu d’expérience maritime d’approuver un projet de vaisseau, s’il y avait d’abord à petite échelle une forme à trois dimensions. Ainsi en 1649, la première année du Commonwealth, les lords de l’Amirauté, qui en l’absence d’un roi étaient responsables de la politique maritime de la nation, envoyèrent une lettre aux commissaires de la marine chargés des approvisionnements et des magasins pour mettre leurs décisions en œuvre. La lettre concernait la construction de cinq nouveaux bateaux de guerre. Dans cette lettre, les lords requéraient les membres du «ministère » d’inviter les maîtres charpentiers concernés à soumettre leurs dessins, spécifiant qu’une mesure préliminaire serait la présentation d’un modèle réduit.

Ainsi Phinéas Pett, précurseur des modèles réduits, est certainement pour beaucoup à la base de cette heureuse décision. Ce qui nous vaut encore de pouvoir admirer tous ces beaux modèles du temps passé. 

Ceci représente pratiquement tout ce que j’ai pu trouver en furetant partout où cela a été possible, toute la documentation qu’il m’a été possible de trouver, mais étant très éloigné des sources d’information d’origine ce n’est pas si mal. Jusqu’à ces derniers mois je n’avais rien trouvé concernant la poupe de ce vaisseau et sur certaines représentations côté bâbord. Quant au plan de Greenwich il est le seul plan de Musée (plan de chantier) existant, et c’est le seul passages obligé si l’on désire obtenir un plan plus ou moins officiel voire même avec une certaine garantie d’authenticité sur la décoration sauf la poupe. Quant au véritable plan d’époque de ce vaisseau il n’existe pas ou plus ! Il faut savoir que les plans en ces temps-là étaient plus que rudimentaires, juste quelques croquis, car la science du concepteur constructeur reposait uniquement sur un savoir-faire non formalisé, transmis de père en fils, de génération en génération.
Heureusement qu’il nous reste la reconstruction plus les plans que l’on peut obtenir au Musée sans compter les écrits de la bibliothèque Pepys qu’il faut déchiffrer ! Quant aux gens des Musées que j’ai consultés, re-consultés sans relâche, ils sont pleins de bonne volonté, ils fouillent partout pour satisfaire aux demandes mais il arrive parfois qu’eux aussi sont sans solutions de beaucoup de choses, et cependant, sur ce vaisseau, il y a beaucoup de littérature.


Plan de South Kensington. qui semble identique à celui de Greenwich dont mon modèle est issu

Voici un exemple de l’amabilité du personnel des Musées : sur l’armement du Sovereign, par exemple, la décoration des canons est dit à « mouldings » en anglais. A ma demande de renseignements, voici la traduction de ce qu’il m’a été répondu : « ….malheureusement il se trouve que nous n’avons pas de canons de la période du « Sovereign of the Seas » et de plus aucun ne nous est parvenu du naufrage même. Vous pouvez tout au plus vous référer a l’ouvrage de Michael LEWIS, « Armada Guns » publié chez George Allan et UNWIN, mais il ne couvre que l’artillerie d’environ un demi-siècle plus tôt. Des articles dans la revue trimestrielle « international journal of nautical archéology » particulièrement celui de Peter Mc Bride concernant l’artillerie apportée du Dartmouth (5ième rang) coulé en Ecosse en 1690, mais malheureusement c’était longtemps après que le « Sovereign of the Seas ait été construit. Alors que « Armada Guns » était antérieur…. » Suite à cette réponse, ma recherche n’est donc pas allée plus loin sur ce sujet, il était inutile de perdre du temps pour ne rien avoir.
Ainsi donc, il y a un trou de 50 ans avant et 50 ans après le Sovereign sans documentation dans les archives anglaises, ce qui donne un vide d’un siècle sur ce genre de canons de cette époque. (Plus on remonte dans le temps plus les documents ou plans sont rares). Concernant le plan, comme je l’ai dit, celui de Greenwich est intitulé « le Royal Sovereign » et non the Sovereign of the Seas. Samuel Pepys qui a navigué sur ce vaisseau le nomme « Royal Sovereign » Cependant il dit que Charles 1er constata la faiblesse de sa marine et qu’il fit mettre en chantier de nouveaux vaisseaux dont le plus célèbre fut le Sovereign of the Seas lancé en 1637. Ce fleuron de la marine était équipé de 104 canons et transportait un équipage de mille hommes (cela me semble beaucoup). Il était orné d’une profusion de sculptures baroques en bois doré : des figures mythologiques et des
motifs décoratifs variés, (rose d’Angleterre, chardon d’Ecosse, fleur de lys, glaives, boucliers) et pendant cinquante ans il servit de vaisseau amiral, mais son gigantisme était un handicap, car on le manoeuvrait avec grande difficulté. Je pense que le célèbre maître charpentier William Edye est l’auteur de la reconstitution du plan de Greenwich 1817 (je n’en suis plus certain), mais cela n’a plus d’importance maintenant, ce qui l’est, par contre, c’est de connaître quelles documentations et quelles sources furent utilisées pour réaliser ce plan afin de connaître très exactement quelle époque de la vie du vaisseau ce plan le représente. Ce sont des questions importantes qu’il faut connaître, ne fut-ce que pour être en conformité avec ma première remarque du début de cet article sur la présentation d’un modèle, à mon avis 1660 à la grande refonte du vaisseau. Quant à savoir pourquoi le vaisseau est parfois intitulé  the Sovereign of the Seas, ou Royal Sovereign, je n’en sais rien.

En lisant le Journal de Samuel Pepys, il semble qu’indifféremment il fut nommé de l’une ou de l’autre manière.  Mais je n’ai pas plus de confirmation. Peut-être qu’après la restauration de la monarchie il fut tout simplement nommé Royal Sovereign, ou bien encore, il fut nommé ainsi après qu’il eut perdu son titre de vaisseau amiral ? Sur la fin de sa longue vie, ce magnifique vaisseau n’avait plus rien de commun, aucune ressemblance avec ce qu’il fut, personnellement je n’ai jamais su me le représenter avec un lion couronné à la place du roi Edgar sur son cheval terrassant sept de ses adversaires tombés comme figure de proue.

Bien sûr, j’ai commis des erreurs de jeunesse dans mon travail, puisque je ne connaissais absolument rien à la marine, (encore moins à la construction), mais en étudiant beaucoup on y arrive. Ce modèle représente en fait mon premier véritable travail de recherche et de modéliste naval (simplement en lisant et étudiant afin de persévérer). Quant aux erreurs, j’en connais une que vous parviendrez à découvrir, puisque visible extérieurement. Je n’en dis pas plus, ce qui va alimenter les débats ! En fait, je ne regrette certainement pas d’avoir réalisé ce modèle puisque c’est grâce à ce travail que j’ai obtenu ma première médaille d’or (au dernier championnat d’Europe) à Cannes en 1978, mais surtout, cela m’a permis de rencontrer deux personnes extraordinaires, exceptionnelles : M. Hubert Berti, ensuite le génial homme qu’est ce phénoménal Jean Boudriot, l’instigateur du renouveau de l’archéologie navale française.

Je joins pour terminer un extrait du plan sur la décoration de la poupe, avec une partie de l’élévation transversale, les lignes d’eau ici ne sont pas visibles, a l’échelle du 1 /48eme les traits pointillés sont visibles et, avec une certaine connaissance du sujet, le plan se suffit à lui-même pour se tirer d’affaire et réaliser le Royal Sovereign que vous avez vu à St-Malo ou Châteaulin. Voici aussi une copie des deux cartouches qui se trouvent sur la gravure de Jones Payne. J’ai malheureusement égaré ou perdu leur traduction. Si un modéliste peut me faire parvenir cette traduction, cela me ferait grand plaisir, et je l’en remercie d’avance.


Le plan de Greenwich

Il reste un endroit que je n’ai pas prospecté ni contacté qui est la bibliothèque de Samuel Pepys, ce haut lieu contient énormément de manuscrits d’époque mais il faut déchiffrer, j’espère qu’un jour ou l’autre, il y aura bien un modéliste qui aura l’envie de voir l’historique de ce merveilleux vaisseau, mais cela reste néanmoins un fameux travail de recherche dont les anglophones eux-mêmes n’ont pas fini de faire le tour.     

Voici les derniers renseignements que Monsieur Pierre Grandvilliers a bien voulu me traduire de l’anglais et qui confirme tout ce que je connaissais sur ce vaisseau sauf les différentes variantes du nom dont je n’en avais pas la certitude.

 

     A. Molle.
 

 


G. Delacroix 1999-2006